Mardi 29 Octobre, 5h45 du matin, Douarnenez. Il
fait encore
bien noir dehors. J’ouvre le dernier fichier météo. L’accalmie que
nous
guettons depuis plusieurs jours et qui va enfin nous permettre de
prendre le
départ de la Mini Transat est bien là. Par contre, elle a l’air
d’être encore
plus petite que prévue, pour passer le cap Finisterre avant le gros
temps il va
falloir tout donner dès le début. J’espère que les bateaux de
série pourront
passer à temps eux aussi.. non en fait ça ne le fera pas pour eux,
ils vont
prendre cher, ou alors Denis va encore reporter le départ ? On
retourne se
coucher ? Ne pas y penser, allez c’est parti !
7h30, le jour se lève, il y a du vent, les
premiers bateaux
sortent du port, avec pas mal de retard, le 709 et moi sommes
bloqués dans le
fond du port et ne pouvons bouger tant que les autres ne sont pas
sortis. Ces
derniers instants sont longs, je suis entouré de ma famille, c’est
cool, je vois
pas mal de coureurs qui sont là seuls, leurs familles n’ont pas pu
revenir, ou
alors elles les attendent déjà à Lanzarote…
Dire au revoir à mes proches est un moment très
fort, on ne
parle pas beaucoup mais ce n’est pas utile, nous avons tous
attendu ce moment
avec beaucoup d’impatience, tant de travail, tant de temps, tant
d’aide, je
pense à tous ceux qui n’ont pu venir, merci, ce que nous avons
réussi est
énorme, malgré la petite taille de notre bateau !
8h30, je quitte le ponton, quelques mètres à
l’abri du port,
et nous sommes vite dans le sujet, une petite vingtaine de nœuds,
un fond de
houle et quelques grains qui passent, le départ s’annonce
sportif !
9h et quelques, le départ est donné, je suis à
l’extrême
droite de la ligne, je pars avec un peu de retard car je veux
éviter de voler
le départ, éviter de casser le bateau lors d’une collision, et
surtout je veux
être certain de pouvoir virer de bord dès la ligne franchie. Tout
se passe
bien, et je suis le seul à partir à droite, en plus d’être du côté
que j’avais
choisi cela me permet de m’écarter un peu plus du danger des
collisions.
Après quelques minutes sur ce bord, je vire et
repars vers
le milieu du plan d’eau, ça à l’air de bien passer… Ca passera
même très bien
puisque je suis en tête et que le second croise près de 100 m
derrière
moi ! Un gros grain avec de la pluie et un renfort important de
vent
arrive tandis que nous tirons des bords vers la sortie de la baie,
le second
est maintenant Gwénolé et son bateau Logways, son choix de voile
est plus
adapté dans le vent qui a forcît, il me rattrape, mais les autres
sont toujours
à bonne distance.
Il est environ midi et nous avons franchi les
deux tiers de
la baie, Gwénolé et moi sommes au
contact,
le vent mollit légèrement, je le re-distance un peu. Il est
maintenant
temps pour moi de virer et de faire cap direct vers la pointe du
Raz. Gwénolé
et le groupe de poursuivants continuent sur la droite du plan d’eau.
Je me retrouve
seul de mon coté, cap direct sur le Raz de Sein, pour le moment
c’est plutôt
positif pour moi, je me demande même pourquoi ils continuent si
loin. Ils
finissent par virer, je suis toujours content de moi, ils ont
l‘air d’avoir
fait beaucoup de route en trop. Les minutes passent, ils ont
maintenant l’air
très rapides, leur progression sur l’horizon est impressionnante,
je comprends
alors que là où ils sont, le vent a tourné et leur permet d’ouvrir
un peu plus
les voiles et donc d’accélérer franchement. J’ai une belle avance
mais va t-elle suffire pour tenir la tête jusqu’à la sortie de la baie ? Et
bien
non, un petit peu avant d’atteindre le Raz de Sein, Gwénolé et un
autre bateau
me doublent, les poursuivants sont quant à eux juste derrière moi.
Ce n’est pas
si mal !
Devant nous s’ouvre l’Atlantique, direction
Lanzarote !
A peine passé le Raz de Sein j’envoie le
gennaker, cela va
vite, une douzaine de nœuds en moyenne ! Notre groupe commence à
s’étaler,
certains restent hauts tandis que d’autres choisissent de plonger
vers le sud, je
choisis une option médiane. Pour le moment l’important c’est
d’aller vite. Il y
a une vingtaine de nœuds, pas mal de mer, des creux d’au moins 5
mètres. Un
nouveau grain s’approche de nous, le vent rentre fort, je range
finalement le
gennak, mais continue d’aller le plus vite possible.
Nous sommes maintenant en milieu d’après midi,
le grain est
passé, mais j’ai un début de mal de mer, je me force à vomir
rapidement mais
difficilement, je n’ai rien avalé de la journée, prends une
pilule, et renvoie
le gennak. J’ai perdu un peu de terrain, pendant que j’étais
occupé avec mon
estomac, mes plus proches concurrents continuaient à attaquer. Le
gennak est de
retour, et c’est reparti.
La mer est forte sur fond de ciel de traine
avec de bons gros
cumulus, derrière nous des arcs-en-ciel apparaissent et
disparaissent, le
paysage est magique, seul petit bémol, il y a comme un karcher sur le
pont et il ne
se passe pas 30 secondes sans que les vagues explosent sur nos
visages.
Nous sommes en fin de journée, deux ris dans la
grand voile,
un ris dans le solent et le gennaker est en place. Le vent mollit
légèrement,
j’hésite à renvoyer un ris dans la grand voile. J’opte finalement
pour le ris
dans le solent.
Avant de partir devant je choque légèrement la
grand voile
pour ralentir un petit peu le bateau, j’accroche une de mes longes
sur la ligne
de vie qui court sur le roof, et décroche l’autre du fond du
cockpit. Je rampe
pour aller sur la plage avant, décroche le ris du solent tant bien
que mal, et
commence le chemin inverse par la remontée sur le côté du bateau. A
ce moment là,
je suis dos au vent avec une main sur la filière, je sens le
bateau décoller
brusquement dans une vague, je décolle avec et suis même catapulté
vers le
haut, je sens impuissant que ma main accroché à la filière est
en train de
passer sous moi, je retombe finalement à côté du bateau, la
violence du
mouvement du bateau ajouté à mon poids me fait lâcher la filière.
J’arrive
quasiment la tête la première dans l’eau, et je sens déjà le
harnais qui me
tire tandis que le gilet se gonfle. Une fraction de seconde plus
tard je suis
sur le dos tracté par le bateau qui continue sa folle cavalcade,
vite la
télécommande pour mettre le bateau face au vent. Merde elle est
coincée sous le
gilet. Je lutte un long moment avec les vagues qui tapent mon dos,
je heurte
régulièrement la dérive au vent avec mon épaule, le bout pointu me
fait mal, je
commence à fatiguer et à perdre tout espoir d’y arriver, à chaque
fois que
j’arrive à passer la main sous le gilet une vague me la ressort…
Après peut-être cinq minutes à tenter d'attraper cette télécommande, je finis par la saisir, ce
coup-ci
c’est bon je suis sauvé, je presse un bouton et ne le lâche plus,
le bateau est
censé se mettre face au vent dans ce cas-là (enfin je crois). Il
lofe alors
très brusquement, je me sens happé sous le bateau, il passe le lit
du vent et
continue son virage, nous avons viré de bord, toutes les voiles
prennent à
contre, je suis maintenant en arrière du hauban, le bateau est
fortement gité
avec les voiles à contre, la quille basculée sous le vent et tout
le poids du
matériel chargé sous le vent.
Le bateau dérive vite, à tel point que mes
jambes sont
coincées sous le bateau, je sens les filières sur mon ventre, le
harnais me
retient toujours vers l’avant, heureusement à tout instant le
gilet m’a gardé
la tête hors de l’eau, ou plus ou moins hors de l’eau !
Bon, la situation n’est pas tellement meilleure
finalement.
Impossible de me dégager de l’emprise du bateau, un espoir peut
être, même si
le bateau dérive surtout latéralement il avance un petit peu, je
sens de la
tension dans le harnais, je décide alors d’accrocher la seconde
longe à la
filière contre laquelle je suis et de larguer l’autre afin de me
faire glisser
vers l’arrière en espérant me dégager du bateau, cela marche plus
ou moins
puisque j’arrive après pas mal d’efforts à m’approcher de
l’arrière. Puis je
fatigue et ne bouge plus, je perds espoir pendant quelques
instants, et
réalise qu’à portée de ma main gauche se trouve le coinceur de
bastaque (la
corde qui tient le mat vers l’arrière), je l’ouvre en espérant que
cela va
libérer la grand voile et peut être remettre le bateau dans une
assiette plus
cohérente. Dans la seconde qui suit je sens le bateau se
redresser, je crois
même un instant être resté accroché à la filière et donc quasiment
sorti de
l’eau, mais dans le même instant je retombe lourdement dans l’eau.
Je réalise alors qu’en ayant largué la
bastaque, j’ai fait
tomber le mat, gros moment de désespoir. J’en oublierais même un
instant que je
suis dans l’eau au milieu de creux de 4 ou 5 mètres, que je suis à
bout de force
et que le froid commence à se faire sentir.
Je suis maintenant en arrière du bateau, je
tente de sortir
de l’eau grâce à une sorte de marche que nous avons à l’arrière de
nos bateaux,
je n’arrive pas à mettre le pied dessus, ça bouge trop, et je suis
trop fatigué.
Finalement je décide de rentrer par la trappe de survie, je
l’ouvre et extirpe
le radeau de survie avec beaucoup de mal, les plombs de jauge refusant pendant
quelques instants
de céder et l’effort à faire me paraît énorme. Une fois le radeau
sorti je
commence à essayer de retirer le gilet de sauvetage pour passer par la trappe
(gonflé il est
plus gros que la trappe), impossible d’ouvrir la boucle du gilet en
tension. Je réalise
après coup que j’avais un couteau flottant à portée de main et que
j’aurais pu
l’utiliser pour couper le gilet, mais je n’y ai pas pensé à ce
moment-là… Je
suis alors dépité, et commence à capituler, mon seul espoir est alors qu’un concurrent passe
à proximité
rapidement. Ca y est je tremble.
Quelques minutes plus tard je réalise que le
bateau s’est
fortement enfoncé, la trappe n'est pas refermée. Je réalise
par la même
occasion que le flanc tribord est sous l’eau, je me fais alors
glisser dessus
et arrive dans le cockpit, j’allume les deux balises, et me dis
qu’il serait
peut être bien de libérer le gréement pour protéger ce qu’il reste
du bateau. A
peine coupé le premier hauban je manque de retomber à
l’eau, je rampe
finalement sagement vers le cockpit et n’en bouge plus, au même
moment je vois
le haut d’une voile de mini à une cinquantaine de mètres qui arrive
droit sur
moi derrière les vagues. Il roule son gennaker en catastrophe,
c’est Tanguy le
Turquais qui se trouvait alors dans le groupe de tête des bateaux
de série, il
ralentit et passe très proche de moi. J’ai appris par la suite
qu’en voyant mon
regard un peu ébahi il a vite compris ma détresse, il a appelé les
secours par
VHF et est resté à mes côtés afin de les aider à me retrouver dans
cette mer
quelque peu agitée.
Ils arriveront quelques dizaines de minutes
plus tard, et
malgré la mer formée mettront une embarcation à l’eau pour venir
me chercher. Il
fait nuit. Je suis bien heureux de les voir et de sentir la
chaleur en
embarquant à bord du PSP Cormoran !
Un énorme merci donc à Tanguy, au Commandant
Lore du PSP
Cormoran ainsi qu’à tout son équipage ! J’ai passé les quelques
jours
suivants en leur compagnie en accompagnant le reste de la course,
ils ont été
très attentionnés, et très préoccupés par le reste de la flotte afin
d’être le
plus disponible possible à la mesure des capacités de leur bateau.
Je suis maintenant de retour à la Rochelle,
notre beau
bateau m’attend sagement dans un chantier à Loctudy où j’ai
rendez-vous
mercredi matin avec l’expert…
La suite ? On verra bien !
Les enseignements ? La combinaison sèche m’a
préservé
du froid en retardant son envahissement. Le harnais m’a gardé
accroché au
bateau. Le gilet a maintenu ma tête hors de l’eau. Les secours
m’ont sorti du
pétrin. Si un de ces paramètres
avaient
manqué, je ne suis pas certain que je serai en train d’écrire ces
lignes.